L‘enquête est un film complexe. Il est réalisé par Vincent Garenq, un metteur en scène ayant déjà adapté un livre polémique à forte portée politique avec le très bon Présumé Coupable. Aujourd’hui, le cinéaste se penche sur un sujet plus délicat encore, l’affaire Clearstream. Scénarisé en collaboration avec Denis Robert, l’auteur de la sulfureuse affaire, L’Enquête se présente autant comme un biopic que comme un film policier, et l’histoire de l’homme broyé par le système semble finalement plus intéresser Vincent Garenq que la raison de son combat. Parti pris risqué ; la participation du sujet du film au scénario peut vite mener à sa propre glorification, et offrir un point de vue unique sur une affaire complexe. Alors certes, le metteur en scène adopte la vision du journaliste, mais il s’agit ici moins d’en faire un surhomme que de raconter son implication progressive dans un univers qui le dépasse.
Incarné par un Gilles Lellouche véritablement habité, le Denis Robert de Vincent Garenq est un héros. Un héros faible, avec des défauts, mais qui vaillamment lutte avec ses armes contre un monde corrompu qui cherche à le détruire. Après avoir accepté ce premier parti pris, somme toute assez prévisible, le spectateur est prêt à plonger dans une descente aux enfers de près de deux heures. L’Enquête accorde peu de places à l’humanisme ; pour ainsi dire, la famille de Denis Robert n’est que peu mise en valeur, et les rares séquences qui lui sont consacrées sont – malheureusement – assez ratées car excessives et déjà vues mille fois. Un choix de réalisation logique, cependant, et efficace pour faire passer à l’écran l’obsession du journaliste pour l’affaire, qui vient jusqu’à empiéter voir détruire sa vie personnelle. Il aurait peut-être même été plus judicieux d’assumer jusqu’au bout et de ne pas filmer ces scènes familiales assez dispensables. Le film doit beaucoup à un acteur principal très impliqué, et au charisme indéniable ; Gilles Lellouche s’affirme de plus en plus comme une figure majeure de la scène cinématographique française. Il passe à travers une palette d’émotions variée et toujours crédible, que ce soit dans les quelques scènes intimistes ou en tant qu’homme pris dans les rouages d’une machine qui le dépasse. Une confirmation, si il en était encore besoin, que Vincent Garenq est un excellent directeur d’acteur. Le metteur en scène est également un scénariste talentueux, en témoigne l’absence de toute longueur et le rythme fort bien géré du film. Une écriture favorisant un montage réussi, toujours clair malgré les différentes temporalités et actions simultanées du film.
Mais la grande force de Vincent Garenq en tant que réalisateur, c’est de refuser de se cantonner à un but pédagogique, mais d’instaurer un souffle purement cinématographique à son œuvre. Il y a dans L’Enquête de nombreuses influences, un héritage assumée dans la réalisation qui confère au film un aspect fort sympathique. On a l’impression de voir un film policier plutôt qu’un documentaire sur une affaire, et c’était sans doute le choix le plus judicieux parmi ceux qui se sont imposés au réalisateur. Fidèle à ce parti-pris, la photographie est une réussite, sobre, classique, mais soulignant efficacement cette volonté d’objectif cinématographique plutôt que documentaire. Pas de steadycam, pas de lumières trop “visibles” ou parfaites ; le cinéaste privilégie la véracité de la caméra-épaule et l’hommage au cinéma américain des années 70. Une petite volonté de réalisation qui passe très bien à l’écran et fait plaisir à voir. Quelques imperfections technique, un montage parfois trop brusque et quelques plans pas franchement jolis, viennent légèrement ternir le tableau, mais aucune n’est réellement gênante à côté d’une mise en scène aussi réussie. Il y a finalement bien peu de choses à reprocher à L’Enquête, si ce n’est ses quelques séquences familiales bien moins inspirées que le reste du récit, et quelques maladresse narrative ; pour autant, le charisme de Gilles Lellouche et la réalisation de Vincent Garenq valent à eux seuls le déplacement. N’espérez cependant pas sortir de l’Enquête en ayant tout appris de l’affaire Clairstream ; le film reste toujours assez vague et n’a clairement pas pour objectif de devenir un documentaire. C’était sans doute le mieux à faire.
”Aidé par un acteur principal excellent, Vincent Garenq livre un film assez réussi sur une affaire complexe lui servant de toile de fond pour son drame humain.”
Il y a dans L’Enquête une intention cinématographique louable, et qui passe suffisamment bien pour nous faire accepter quelques facilités ou erreurs scénaristique. Aidé par un acteur principal excellent, Vincent Garenq livre donc un film assez réussi sur une affaire complexe qui lui sert de toile de fond pour son drame humain. On ne peut que regretter un petit manque d’ambitions, une photographie pas toujours parfaite, et un manque de jusqu’au-boutisme. Pour autant, pari réussi pour un réalisateur qui s’impose de plus en plus comme une figure importante du cinéma français.
Le Blog du Cinéma remercie le Comoedia pour l’invitation presse.
Les autres sorties du 11 février 2015
• Titre original :L’Enquête
• Réalisation :Vincent Garenq
• Scénario :Vincent Garenq, Stéphane Cabel et Denis Robert
• Acteurs principaux :Gilles Lellouche Charles Berling, Laurent Capelluto
• Pays d’origine :France, Belgique
• Sortie : 11 février 2015
• Durée :1h45
• Distributeur :Mars Distribution
• Synopsis :2001. Le journaliste Denis Robert met le feu aux poudres dans le monde de la finance en dénonçant le fonctionnement opaque de la société bancaire Clearstream. Sa quête de vérité pour tenter de révéler “l’Affaire des affaires” va rejoindre celle du juge Renaud Van Ruymbeke, très engagé contre la corruption. Leurs chemins vont les conduire au cœur d’une machination politico-financière baptisée “l’affaire Clearstream” qui va secouer la Vème République.